Henry Mégard 1921–1970



Esquisse biographique

Origines familiales

Henry Mégard est né à Turin, dans une famille originaire essentiellement des cantons suisses de Genève et de Vaud[1].

Son grand-père paternel, Claude Henri Mégard (1851–1916), est né à Carouge. Il était artisan bijoutier et avait une petite entreprise. Les enfants de Claude Henri sont nés à Genève (Violette Elise 1876), à Paris (Henri Alexandre 1883, le père d’Henry), et à Turin (Emile Jules, 1887). Claude Henri avait un frère, Joseph, qui fut un artiste peintre renommé.

Henri Alexandre (1883–1967) a longtemps travaillé pour la bijouterie de son père Claude Henri à Turin. Il faisait des voyages en Amérique latine. Il a été comptable, puis a ouvert un magasin d’antiquités avec son frère Emile. Il s’est marié à 38 ans avec Suzanne Marie Blanc (d’une famille aisée de Lutry près Lausanne). De leur union naîtront à Turin : “Enrico Mario Carlo” dit Henry Mégard le 4 février 1921, puis Claude en 1927 et Carla en 1929. En 1930 la famille revient s’établir à Genève et Henri Alexandre devient fonctionnaire aux impôts fédéraux.

Lors de la naissance d’Henry en 1921, son cousin germain Eric Rochat est à Turin. Eric a alors 22 ans, il est le fils de Violette Mégard, la soeur de Henri Alexandre, mariée à un instituteur de la Vallée de Joux. Eric Rochat jouera, semble-t-il, un rôle important dans les choix de vie de Henry. Il mourra moins de deux mois après lui.

Années 1930 & 1940 — Jeunesse

Une photographie montre Henry sur la terrasse de l’appartement de Turin, vers 1929, donc à huit ans, jouant avec un poste à galène[2] ! D’autres photographies plus tardives montrent les enfants à Genève, dans la rue, jouant encore avec de tels postes de radio.

Henry fait du scoutisme, sa patrouille se passionne pour la radiophonie. Lui et ses amis montent un robot à l’occasion du camp national de Zurich en 1937. Cet humanoïde se lève et fait le salut scout lorsque quelqu’un passe devant lui[3] !

Eric Rochat, le cousin plus âgé, était ingénieur de formation. Il était connu pour être très inventif. Il s’occupait d’orgues électroniques chez Foetisch Frères à Lausanne[4]. Il a partagé sa passion pour l’électronique avec Henry qui a été engagé “en qualité d’apprenti” chez Foetisch, de novembre 1936 à juin 1938.

Henry a un vélo (qu’il utilise pour se rendre à la gare Cornavin depuis la rue Henri-Mussard, pour aller travailler à Lausanne[5]), puis une moto (il participe à des courses), et plus tard une voiture.

Pendant la guerre il est mobilisé dans les troupes de transmission. Une petite équipe s’emploie à transporter les lourds appareils de l’époque dans le Jura ou dans les Alpes. Ils bricolent un vélo-générateur pour disposer d’électricité. Simple soldat, il ne sera jamais un “gradé”.


Années 1940–1950 — Débuts professionnels

Henry travaille comme radioélectricien chez Radio-Matériel S.A. à Lausanne de mai 1939 à mars 1943, où “il s’est occupé de la réparation d’appareils de radio de toutes marques européennes et américaines, ainsi que de la mise au point et de la transformation d’instruments de mesure, et du montage d’amplificateurs. Il a également eu l’occasion de monter quelques antennes”[6]. Il quitte Lausanne pour s’engager chez Sautier-Jaeger à Genève (mars 1943 – décembre 1946) et au Grand-Passage (janvier 1947 – novembre 1948).

Puis il travaille comme responsable du rayon radiotélévision à l’Innovation, grand magasin lausannois (novembre 1948 – janvier 1952). Un nouveau robot de son invention circule en poussant un chariot et en distribuant des tracts aux clients du magasin[7].

C’est là qu’il fait la connaissance de Claudine Simon, mariage en 1950 à Genève. Naissance à Lausanne de Claire-Lise (1951) puis à Genève de Michel (1955).

Il fait partie des douze premiers “Installateurs professionnels en télévision”, qui reçoivent ce titre fédéral à Genève en 1952[8].

Henry retourne dès 1952 chez Sautier–Jaeger, à la Place de la Fusterie à Genève. Ce magasin traditionnellement orienté vers les pianos a décidé de s’ouvrir aux nouvelles technologies. Il aurait disposé en vitrine une ampoule électrique, posée sans autre sur une vitre légèrement inclinée et poussée par un ventilateur savamment orienté. Elle pouvait tourner des jours durant sans jamais tomber (“la grande idée, c’était de mettre verre contre verre !”)[9].

En 1963 il ouvre son propre commerce sous la raison sociale de Télécolor, bien avant que la couleur soit introduite ! Puis il s’associe à d’autres pour créer Equipel, un magasin de fournitures électroniques.

Il forme plusieurs apprentis[10] et fonctionne comme expert aux examens[11].

Chez Equipel, on a pu voir les tout premiers écrans plats, ainsi que les antennes “halo” (à la curieuse forme en cercle) pour les radioamateurs.

Les radio et TV amateurs

Il était en particulier actif au sein des ARG (Amis de Radio-Genève), de l’USKA (Union suisse des amateurs d’ondes courtes), puis du Groupement expérimental d’émission TV.

Très tôt radioamateur avec l’indicatif HB9FX [12], son surnom était “Félix”, facilitant ainsi la mémorisation des lettres F et X. Et sur la carte postale qu’il envoyait à ses correspondants (une QSL dans le langage des radioamateurs) il avait fait figurer le dessin de Félix le Chat, personnage célèbre des dessins animés de l’époque !

Un groupe de passionnés s’était formé. Ils faisaient des concours sous la forme de recherche au goniomètre (récepteur directionnel) : l’un d’eux se cachait avec un émetteur, quelque part sur le canton, et tous les autres, par petites équipes, tentaient de le localiser en croisant sur une carte les directions données par le goniomètre. Une fois sur un arbre, une autre fois sous terre, ou encore sur un bateau passant d’une rive à l’autre du lac : la partie n’était pas facile ![13]

 

Henry est à l’origine de la création du Groupement expérimental d’émission TV de Genève le 26 octobre 1956 à Genève. Il apprend que l’émetteur expérimental de l’Institut de Physique de Genève a été mis au rancart au moment de la mise en service de l’émetteur romand de la Dôle en 1956. Avec l’aide de camarades radioamateurs enthousiastes, il remonte et complète, non sans mal, ce qui restait des éléments d’origine, dans un local situé à Port-Gitana (Bellevue). Le tout est adapté aux normes de la Télévision officielle. En 1959, les PTT accordent une concession à ce qui a été le premier émetteur amateur de télévision en Suisse[14].

Henry est président du groupement en 1962, lors de la première émission “publique”[15].

Au Salon des Arts Ménagers, il a tenu et animé des stands avec divers groupes, dont le Groupement expérimental d’émission TV[16]. Une année il présentait les premiers enregistreurs vidéo[17].

Les engagements particuliers

A l’Hôpital cantonal de Genève, il a installé la première caméra en salle d’opération, permettant aux étudiants de suivre sur écran le détail d’une opération (semble-t-il vers 1950)[18].

Henry a travaillé à la sonorisation de conférences internationales : pour la première exposition de “L’Atome pour la paix” en 1955 à Genève[19] ; pour l’O.M.S. au Liban (1961, 1968 et 1970), en Arabie saoudite et Iran (1962), Egypte (1963 et 1966) et en Turquie et au Pakistan (1966) ; pour l’UNESCO à Paris (1962). Il s’agissait en particulier d’assurer la traduction simultanée des orateurs. Parfois aussi la projection sur grand-écran.

Il s’est aussi occupé de la sonorisation de concours hippiques à Genève.

Il a conçu et réalisé une caméra sous-marine.

 

 

 

 

 

C’est lors d’un voyage en Roumanie que Henry est mort le 29 septembre 1970.

 

“Considéré par tous comme une personnalité extrêmement dynamique, Henry Mégard était un ‘moteur’, lanceur d’idées et organisateur. Sa disparition tragique, à 49 ans, d’un accident de voiture, a privé sa famille et ses nombreux amis d’une figure rayonnante, chaleureuse, à la gaieté communicative” Jean Richez[20].

Michel Mégard, janvier 2000.


 



[1]           Origines : La famille Mégard est originaire de Bardonnex, village de la campagne genevoise, où elle a donné son nom au hameau qu’elle a occupé au moins du 14ème jusqu’au 19ème siècle. [Recherches de Michel Mégard].

[2]           Poste à galène : L’emploi de cette expression est devenu courant dans les années 1930–1940 selon le Dictionnaire historique de la langue française (sous la direction de Alain Rey, Ed. Le Robert). Photographie chez Carla Ménétrey.

[3]           Scoutisme : Sa patrouille était spécialisée dans la radiophonie. Les soirées de la troupe étaient sonorisées par leurs soins et ils écoutaient Sottens dans les camps. Une photographie montre Roger Dessoulavy (chef de patrouille), Pierre Court et Henry Mégard en uniforme, entourant leur robot métallique. Celui-ci est fixé sur un socle, la forme extérieure est faite de feuilles d’aluminium pliées et le bâti est en ferraille. Il est muni d’une cellule photoélectrique et réagit quand quelqu’un passe devant lui : ses yeux s’allument, il se lève (grâce à un moteur d’essuie-glaces), il fait le salut des éclaireurs. Il était muni d’un haut-parleur. Ce robot reçut un prix hors concours, tant il forçait l’admiration ! En plus des trois de la photo, Pierre Garance appartenait aussi à cette patrouille. Comme ‘routiers’, plusieurs allèrent visiter le barrage de Génissiat, en construction, en 1938-1939. Les deux Pierre et Henry louèrent ensemble plus tard, pendant la guerre, une chambre à la rue de Lausanne pour pouvoir continuer à se rencontrer et pour leurs bricolages. Henry fut le témoin de mariage de Pierre Court en 1945, et il prêta au couple leur première télévision vers 1959. [Renseignements donnés par Pierre Court en novembre 1999].

[4]           L’oncle Eric : Il se nommait officiellement Frédéric Rochat, né en 1898 à Lutry et décédé en 1970 à Paris. Il a travaillé pour Tavaro (Genève), Oerlikon-Bührle (Zurich), puis à Paris. Il a rencontré sa future femme Louisa Blanc lors de la naissance de Henry Mégard à Turin (c’est la soeur de Suzanne Blanc, donc il est à la fois le cousin et l’oncle de Henry !). “Il était très calé et a fait des inventions, particulièrement dans le domaine des engrenages […]. Il a écrit des ouvrages techniques qui ont été traduits jusqu’au Japon (sur les hypoïdes)”. [Lettre de sa fille Suzanne Rochat, 1985].

“Eric me rappelait, une fois de plus, combien il avait aimé ‘son Kiki’, le seul bébé qu’il eût jamais le droit de langer (en Italie, en l’absence des parents) et qui fut si longtemps avec lui à Lausanne, qu’il était devenu un peu son fils. Un fils qui avait su suivre ses conseils pour débuter une carrière qui l’avait amené à de si brillants résultats. Eric en était très fier”. [Lettre de condoléances de Lucette Rochat née Hurni, seconde femme de Eric Rochat, 1970].

[5]           [Témoignage de Pierre Court].

[6]           Certificat de Radio-Matériel S.A. du 13 mars 1943. Pierre Court a succédé à Henry chez Radio-Matériel.

[7]           Ce robot était télécommandé. Le chariot qu’il poussait apparemment dissimulait en fait le moteur qui le tractait. Les papillons étaient pris par aspiration dans le plat de la main du robot, grâce à un vieil aspirateur recyclé.

[8]           Tribune de Genève du 9 octobre 1952.

[9]           [Témoignage de Patrick Mégard].

[10]          Les apprentis : Lettres de condoléances en 1970 : “[…] c’est grâce à lui que j’ai appris mon métier”, [Jacques Golaz]. “[…] Votre mari a contribué beaucoup, grâce à son savoir, à son exemple, à une sympathie réciproque, à la réussite de l’apprentissage de notre fils” [Les parents de Michel Cugneux, apprenti chez Sautier&Jaeger]. “[…] La confiance que votre mari m’a témoigné durant mon apprentissage, sa gentillesse, son dynamisme et ses compétences ont grandement contribué à mon épanouissement durant ces années” [A. Thom].

[11]          Lettre de condoléances en 1970 : “Votre mari a collaboré avec nous d’une manière très dévouée en qualité d’expert aux examens. Nous avons apprécié ses services dans le domaine de la formation professionnelle de nos apprentis” [Raymond Uldry, directeur de l’Office d’Orientation et de Formation Professionnelle, & le Chef du secteur II & des collaborateurs].

[12]          Son indicatif a été attribué plus tard à un groupe local de radio-amateurs Suisse alémaniques créé en 1975.

[13]          Divers témoignages. Pierre Court se souvient de concours avec les ARG, le goniomètre était un cadre en bois de 50 par 50 centimètres.

[14]          Télévision amateur : Ce paragraphe a été précisé et complété par Mr. Jean Richez [lettre du 23 novembre 1999].

Il ajoute que dans l’indicatif attribué par les PTT, HE1TA, les deux lettres du sigle signifient Télévision Amateur, et que “la presse s’agite et la Tribune de Genève titre le 11 mars 1960 : ‘A Port-Gitana, premier émetteur amateur TV de Suisse’ et la Feuille d’Avis de Lausanne du 12 mai 1960 écrit : ‘Genève cumule deux TV’. A noter que les amateurs TV avaient choisi le mardi pour leurs réunions hebdomadaires, jour où la télévision officielle ne fonctionnait pas.”

[15]          Articles parus en 1962 dans Radio-TV Je vois tout (signés Daniel Bergoz), La Suisse du 24 février, Radio-tv-service Nr. 31/32, Pour Tous N° 10, Le Dauphiné libéré du 24 février. En 1957, il était vice-président (président René Schenker, secrétaire Pierre Garance, caissier Marcel Aubin) selon les indications de la Carte de membre 1957-1958. La cotisation annuelle était alors de 12 francs.

[16]          Salon des Arts Ménagers : Lettre de condoléances en 1970 : “Je ne connaissais le défunt que dans le cadre de nos activités professionnelles ; mais cela m’avait permis, depuis de nombreuses années, d’apprécier sa compétence, son dévouement et son allant. La cause de la radio, puis surtout celle de la télévision, ont trouvé en lui un animateur incomparable dont notre Salon a souvent bénéficié. Année après année, au sein des ARG, de l’USKA, puis de votre Groupement, M. MEGARD a organisé et animé des stands, des présentations, voire des attractions. Il m’a souvent conseillé à titre personnel. C’est un ami de notre exposition qui disparaît”. [Jean-Pierre Schadt, directeur, Salon des Arts Ménagers, lettre adressée à Mr. Richez, du Groupement].

“La télévision étant encore peu répandue dans le public, celui-ci était vivement intéressé chaque année lorsque Henry faisait des démonstrations de télévision avec ses amis au Salon des Arts Ménagers, à Genève”. [Lettre de Jean Richez, 1999].

[17]          L’enregistreur vidéo était énorme. La bande faisait plusieurs centimètres de large et s’enroulait sur 360° et en hélice autour d’une tête de lecture presque aussi grosse que les bobines. [Souvenirs de Michel Mégard]

[18]          [Claudine Mégard, 1999]. Pierre Court dit avoir construit un interrupteur spécial pour cette installation, qui n’existait pas dans le commerce, en 1950 environ.

[19]          [Lettre de Jean Richez, 1999].

[20]          [Lettre de Jean Richez, 1999].